Raffaello
Cette tête de con de Valiani m’avait donné un méchant coup de pied dans le tibia. « Qu’est-ce que t’es en train d’inventer encore ? » il s’était mis à gueuler. « Rien, commissaire. Je suis venu me rendre. » Et il s’énervait encore plus. Il était rouge et répétait que c’était Contin qui avait tué Oreste et sa femme. « Pourquoi ? » qu’il continuait à me demander. « Pourquoi tu te sacrifies à sa place ? Quel sens ça a ? Mais tu te rends compte qu’on va te refoutre au trou et que tu crèveras comme un chien au centre médical ? » C’est ça, comme un chien. Comme Oreste et Daniela. Le pourquoi, je pouvais pas le lui expliquer et j’ai dû jouer au con jusqu’au soir. Le commissaire voulait se faire Contin mais je pouvais pas permettre que ça arrive. Cette histoire n’en finirait plus. Il aurait fallu que je retourne au tribunal pour témoigner et j’en avais pas envie. La vérité, c’est que Contin me faisait de la peine. J’en avais vu beaucoup, des taulards, devenir dingues de désespoir et lui, il était comme eux. Condamné à la douleur à vie. Uniquement par ma faute. J’avais buté sa femme et son gosse et j’avais pas eu le courage de l’admettre en faisant accuser mon pote et j’avais donc mis en marche un mécanisme qui avait conduit Contin sur les traces d’Oreste. Ouais, y me faisait de la peine, mais je pouvais pas expliquer ça à Valiani. Il comprendrait pas. Il raisonne en flic. Les bons dehors, les méchants dedans. Mais Contin n’est pas fait pour la taule. Il arriverait pas à survivre et la folie le boufferait complètement. En cabane, les tarés, personne les soigne. Même pas l’asile. Et rien que de les garder enfermés, ça les rend encore plus tarés. Non, Contin devait pas finir en taule. Personne le sauverait. Et puis lui, il a droit à une deuxième chance. Celle qu’on m’a toujours refusée. Dehors, y peut s’en sortir. Y peut se rendre compte ce que c’est qu’un assassin et se remettre dans le droit chemin. Payer à sa place, c’est ma façon de l’indemniser du mal que je lui ai fait. Et tout ça, je pouvais pas le raconter au commissaire qui du coup m’a mitraillé de baffes. Il voulait que je revienne sur mes déclarations. À la fin, il m’a demandé : « Et tu les as tués comment ? » « À coups de manche de pioche », j’ai répondu. « Et qu’est-ce que t’as fait des corps ? » « Enterrés dans la décharge près du périf »
Là, il s’est mis à réfléchir. Il me regardait avec une tronche bizarre. On aurait dit que lui aussi, il était dingue. « Si on les retrouve pas, qu’il m’a dit, ça veut dire que tu t’es tout inventé, je te colle une plainte et je te renvoie chez toi à coups de pied au cul. Mais si t’as dit vrai, ça veut dire que t’as parlé avec Contin. Y’a que lui qui a pu te dire où il a caché les corps. » « Encore cette histoire, commissaire, j’ai répondu. Contin a rien à voir. C’est moi. Oreste voulait se garder ma part et je l’ai buté. Lui et sa gonzesse. » « Quel marché vous avez passé ? Qu’est-ce qu’il t’a promis ? » Il me suppliait presque pour avoir une réponse.
Ils ont retrouvé les corps dans la nuit, en creusant avec des scrapers le terrain éclairé par des projos. Moi, j’étais là, menotté à un volant. Ils ont retrouvé aussi un manche de pioche plein de sang. J’ai signé ma déclaration et me voilà de retour au trou. Valiani a tout fait pour raisonner le juge, mais il lui a ri au nez. Alors, le commissaire lui a balancé son insigne sur son bureau et il s’est tiré.
J’ai fait ce que je devais faire. Je me sens une vraie merde mais je m’en tape. C’est juste une question de temps et puis, le cancer me réglera mon compte une bonne fois pour toutes. Avant d’aller au commissariat, je me suis arrêté dans la cathédrale. Y’avait un panneau où c’était marqué : « confessionnal », et dessous les heures pour se confesser. Je me suis agenouillé et j’ai dit au prêtre que j’avais tué une femme et un enfant, que j’avais fait pas mal d’années de taule et que j’allais y retourner pour y crever. Il m’a promis le pardon de Dieu. C’est bon à savoir. On sait jamais ce que je trouverai quand je fermerai les yeux pour toujours. Je lui ai posé des questions sur cette histoire d’obscurité dont m’avait parlé Contin. Le curé m’a répondu que Dieu est lumière. Va te faire foutre, Contin. Et toi aussi, le confesseur. J’ai déjà dit au juge que je me présenterai pas au procès. Toute façon, ils ont ma déposition et donc ils ont pas besoin de moi. Bientôt, on me transférera au centre médical. J’attends plus que ça maintenant. Je suis en train d’écrire une lettre à ma mère. Je lui demande pardon et de plus venir. J’arriverais plus à supporter sa douleur. Comme d’hab, elle en a pris plein la gueule. Maintenant, faudra qu’elle fasse les comptes avec un fils qui a tué quatre personnes. Pauvre maman. Aujourd’hui, c’est mardi. Pâte, ragoût, légumes. La ronde va pas tarder à passer. Et le type du nettoyage aussi. Y devrait m’apporter un peu de came que les gars de la division m’ont offert pour me consoler de mon retour parmi eux. Espérons qu’yen a pas mal. Comme ça, je passe l’après-midi défoncé et je pense plus à que dalle.